LAIT « LOW COST » À L'HERBE : TOUTES LES RACES NE SE VALENT PAS
Un essai suisse montre qu'un type de vache équilibrée en lait et viande, comme la tachetée rouge, s'adapte très bien à un système de pâture intégrale avec des vêlages saisonniers de fin d'hiver. Mais pas la holstein nord-américaine ni la brown swiss.
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QUEL EST LE TYPE GÉNÉTIQUE LE PLUS ADAPTÉ à un système de pâture intégrale avec des vêlages saisonniers de fin d'hiver ? La question mérite d'être posée. Pas tant pour les producteurs qui livrent à des laiteries cherchant une collecte la plus régulière possible dans l'année… et prêtes pour certaines, à l'avenir, à pénaliser les pics du printemps. Elle est en revanche d'actualité pour ceux qui, dans le grand Ouest, rêvent derrière leur coopérative de se placer sur le marché mondial prometteur pour la poudre de lait. En effet, l'herbe est leur plus grand atout pour produire au moindre coût et espérer rivaliser avec des Irlandais. Eux aussi sont candidats pour ce débouché et capables, grâce à leur maîtrise du pâturage, de rémunérer leur main-d'oeuvre familiale à partir d'un prix de lait à moins de 150 €/t (selon l'Institut de l'élevage, L'Éleveur laitier de décembre 2011, page 10).
À ce titre, l'essai conduit en Suisse, de 2007 à 2010 par la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires (Hésa) de Zollikofen, apporte matière à réflexion. Son objectif : tester l'adéquation des races suisses à un système d'alimentation à bas intrants basé sur le pâturage et des vêlages groupés. Traduisez : une production laitière assurée pour l'essentiel au pâturage (tournant ou continu sur gazon court) sans complémentation (sauf déficit d'herbe estival), seulement 260 kg de concentré par lactation distribués uniquement l'hiver. Et pour caler la courbe de lactation sur la pousse de l'herbe, une période de reproduction limitée à douze semaines avec des mises bas commençant début février.
En lice dans cette expérimentation, menée dans quinze exploitations pratiquant ce mode de conduite, des couples de vaches. D'un côté, une holstein et une brown swiss, deux races fortement imprégnées, comme en France, de génétique nord-américaine. De l'autre, une tachetée rouge, race à peine moins spécialisée en lait (simmental largement infusée de sang red-holstein) comparable à une montbéliarde typée lait. Deuxième race pour faire la paire et le témoin étalon, une holstein d'origine néozélandaise sélectionnée de longue date pour ce type de système, connue pour son efficacité laitière et ses bonnes performances de reproduction. Ce sont ainsi sur trois ans 134 vaches qui ont été suivies et 259 lactations enregistrées. Des résultats, il ressort que les deux types holsteins offrent la meilleure efficacité laitière. Les races ayant des gabarits et donc des capacités d'ingestion et des besoins d'entretien différents, cette efficacité était appréciée sur la base des kilos de lait standard produits (4 % de TB, 3,3 % de TP et 4,8 % de lactose) ramenés au kilo de poids vif métabolique. Là où la holstein produit 50,2 kg de lait par kilo de poids vif métabolique sur 270 jours de lactation et la néozélandaise 52,1 kg, la tachetée rouge décroche à 44,3 kg et la brownswiss à 43,6 kg.
UNE MEILLEURE EFFICACITÉ LAITIÈRE DES DEUX TYPES HOLSTEINS
« Si l'efficacité inférieure du type plus mixte était attendue, celle de la brown swiss, race spécialisée lait, était escomptée légèrement supérieure », remarque Valérie Piccand, de l'Hésa…
Les deux types holsteins ont atteint de façon très différente ce niveau d'efficacité élevé. La holstein imprégnée de génétique nord-américaine a produit plus de volume mais moins de taux, avec un pic de production plus prononcé et une persistance plus faible que la néo-zélandaise.
« L'efficacité de production supérieure de la holstein nord-américaine pourrait s'expliquer en partie par une plus grande mobilisation des réserves corporelles en début de lactation et une partition différente de l'énergie ingérée, plus en faveur du lait que des réserves corporelles. Même si la perte d'état corporel pointée à 30 jours du vêlage n'était pas significativement différente entre les deux lignées holsteins, des pesées quotidiennes sur l'une des exploitations ont révélé une perte de poids statistiquement plus importante pour le type nord-américain (- 32 kg) que le néo-zélandais (- 9 kg). De plus, des mesures métaboliques réalisées en 2008 vont dans le même sens(1), note Valérie Piccand. Pour des systèmes de production qui permettraient l'entière expression du potentiel laitier des animaux, la population holstein nord-américaine aurait probablement présenté une efficacité supérieure à la population holstein néo-zélandaise, en valorisant plus efficacement le concentré. » Mais ce n'était pas le cas dans cet essai. Il confirme ce que l'on devinait : les holsteins peuvent produire beaucoup de lait à l'herbe, même sans concentrés. Mais elles puisent pour cela dans leurs réserves corporelles… aux dépens de leurs performances de reproduction.
PERTE DES RÉSERVES CORPORELLES EN DEUX TEMPS DES TACHETÉES
Et ce n'est pas un hasard si la tachetée rouge moins spécialisée en lait tire très bien son épingle du jeu sur ce terrain. Durant toute la lactation, elle se démarque par une note d'état corporel significativement supérieure aux deux lignées holsteins, un peu moins pour la brown swiss. Cette note d'état, jugée de 1 à 5 en Suisse (0 à 5 en France), est pour les tachetées rouges au vêlage, au minimum de 3,52 et 2,86. La brown swiss pointe pour les mêmes repères à 3,38 et 2,74. Suivent la holstein néo-zélandaise (3,25 et 2,69 ) et son homologue nord-américaine (3,05 et 2,39).
80 % DES TACHETÉES ROUGES SONT GESTANTES EN SEULEMENT 6 SEMAINES
« La perte d'état des tachetées rouges s'opère en deux temps, ce qui n'est le cas d'aucune des autres races. De juin à août, à plus de 100 jours après la mise bas, elles semblent remobiliser de l'état corporel. Ces résultats suggèrent que le vêlage ne déclenche pas une mobilisation maximale des réserves corporelles, mais que ces dernières maintenues à un niveau élevé restent mobilisables en cas de modification-restriction des apports alimentaires en été, contrairement aux autres races qui ont un état corporel plus limitant. Cette mobilisation tardive et limitée serait de fait sans conséquence sur la reproduction », observe Valérie Piccand.
Le fait est que la tachetée rouge est la seule de l'essai à avoir atteint les objectifs de reproduction fixés en Nouvelle- Zélande. À savoir, près de 90 % de vaches inséminées en 21 jours et plus de 78 % de gestantes six semaines après le début des IA. Sur ces deux critères, elle pointe à 86 et 81 %, suivie de la brow swiss (70 et 64 %) et la néo-zélandaise (53 et 66 %). La holstein nord-américaine (58 et 48 %) est largement distancée. Cet excellent résultat tient probablement à une reprise précoce d'une cyclicité après vêlage Témoin, l'analyse de profils de progestérone réalisée en 2008, qui confirme la supériorité des tachetées rouges, surtout sur les holsteins néo-zélandaises (29 contre 51 jours). Les holsteins et les brown swiss se situent dans un résultat intermédiaire (43 jours). Le taux élevé de vaches inséminées à trois semaines suggère aussi une bonne expression des chaleurs et une très bonne fertilité… ce qu'atteste le 89 % de réussite à la première ou deuxième IA (76 % en holstein néo-zélandaise, 72 % en brown swiss, 59 % en holstein nord-américaine).
À l'évidence, la holstein nord-américaine n'est pas adaptée à ce système de vêlages très groupés. En cause, son trop faible taux d'inséminations combiné à une fertilité insuffisante. La supériorité de la tachetée rouge en matière de reproduction sur la holstein néo-zélandaise n'est pas si étonnante que cela. Cette dernière est connue pour ses problèmes de reprise de cyclicité, comme observée dans l'essai grâce aux profils de progestérone. D'où son décevant taux de vaches inséminées à trois semaines, handicap qu'elle rattrape grâce à sa bonne fertilité. Ce petit souci de la néo-zélandaise tient à sa sélection sur la matière grasse. La systématisation des traitements hormonaux pratiqués en Nouvelle-Zélande pour recadrer les vaches qui se retardent, mais masquant ce problème, n'a pas non plus aidé la sélection.
JEAN-MICHEL VOCORET.
(1) Niveau d'acides gras non estérifiés et de béta-hydroxybutyrate plus élevés pour les holsteins type nord-américaine que les néo-zélandaises.
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